« En
revanche, pour décrire le passé comme objet de mémoire, il devient possible, et
même nécessaire, d’intégrer des données qui dépassent le véridique, l’avéré et
le vrai. Nos démêlés avec la perte deviennent méconnaissables si on ne laisse
pas parler l’apocryphe lorsqu’il a joué un rôle, et si on ne reconnaît pas de
plein droit les remous légendaires des mythes et des anecdotes. Parades devant
l’embarras ou l’énigme, ou encore stratégies de réponse, toute la rumeur du
légendaire est ici un accompagnement légitime de réflexion. Même après que des
recherches spécialisées les ont infirmées, les anecdotes classiques transmises
un peu partout gardent une place. La différence entre l’exact et l’erroné, le
vrai et le faux, le réel et le fabuleux, cette distinction ne s’efface
évidemment pas ; mais il faut écouter aussi ce qui est dit. Et ce qui a
été longuement débattu et transmis, même périmé, ce qui se dit encore, même
trop légèrement, peut faire partie de la situation avec une présence plus forte
que le renseignement savant précis qui corrige l’information ».
Judith Schlanger, Présence des œuvres perdues, Hermann, Paris, 2010, p. 14.